Présidentielle 2024 au Sénégal: Le Programme de Thierno Alassane Sall passe aux leurres
Thierno Alassane Sall en campagne électorale pour la présidentielle de 2024
Thierno Alassane SALL, candidat à la présidentielle de mars 2024 au Sénégal a fait deux affirmations sur le secteur de la santé et une sur le domaine horticole dans son pays. Nous avons vérifié ses déclarations.
Par Pape Bocar Mbow
Affirmation :
" Le Sénégal produit, globalement, une quantité d'oignons supérieure aux besoins du pays"
Page 45
Dans ce qu'il appelle la Vision 2 de son programme intitulée "Faire du Sénégal l'Usine de l'Afrique de l'Ouest, Thierno Alassane SALL y aborde les questions de la souveraineté économique, de l'emploi et du numérique. Dans le chapitre 3 du programme intitulé "tirer profit des opportunités de l'économie et de la transformation numérique" , à la page 45, il est affirmé : "Le Sénégal produit, globalement, une quantité d'oignons supérieure aux besoins du pays".
Programme pour l'Autosuffisance en oignon
La culture de l’oignon au Sénégal occupe aujourd’hui une place importante dans l’agriculture.Elle est principalement pratiquée dans la vallée du fleuve Sénégal et les niayes. La sécurité alimentaire et nutritionnelle, la lutte contre la pauvreté rurale et l'agriculture durable constituent des défis pressants au Sénégal. Afin d’atteindre ces objectifs macroéconomiques, un Programme d’Accélération de la Cadence de l’Agriculture Sénégalaise (PRACAS) était mis en place en 2014 dans le cadre du volet agricole du Plan Sénégal Émergent.
Ainsi, le Gouvernement du président Macky SALL avait misé sur les investissements agricoles dans des produits hautement stratégiques pour le Sénégal touchant la totalité du monde rural à savoir le riz, l’oignon, l’arachide et les fruits et légumes de contre-saison et permettant d'atteindre la sécurité alimentaire et d’accélérer la croissance économique et sociale. Dans ce programme du ministère de l'Agriculture et de l’Équipement Rural, L’objectif à l’horizon 2016 était d’atteindre l’autosuffisance avec une production de 350 000 tonnes.
Les chiffres officiels de la production d’oignon
L'Agence nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) produit un bulletin mensuel des statistiques économiques et financières dont le plus récent est publié en décembre 2023. Ce présent bulletin résume les statistiques économiques et financières au cours de ce mois réparties en quatre grandes parties, à savoir le secteur primaire, le secteur secondaire, le secteur tertiaire et les autres statistiques. Le secteur primaire présente les données sur l’agriculture, les prix des produits agricoles, les cours de matières premières, l’horticulture (campagne annuelle 2023, importations et exportations de produits) et l’élevage. D'après son dernier rapport, la production d’oignon est estimée à 398 750 tonnes en 2022/2023 avec une moyenne de de 429 528 tonnes lors des cinq dernières années.
Le paradoxe Autosuffisance/importation
La filière oignon connaît une dynamique de croissance importante au fil des années. L'objectif qui était de produire plus de 350.000 tonnes pour atteindre l'autosuffisance est dépassé. En outre, la qualité de l’oignon et les faibles infrastructures de stockage sont des facteurs contraignants à la vente du produit. Dans cette perspective, Macoumba DIOUF, Directeur de l'Horticulture du Sénégal nous a expliqué que ces manquements sont à l'origine de l'importation d'oignon en cours d'année. "On produit 400.000 à 420.000 tonnes d'oignon par an pour un besoin de 360.000 tonnes soit 30.000 tonnes par mois. Cependant, on enregistre des pertes importantes de 25 à 30%. C'est ce qui explique qu'on importe encore de l'oignon pendant 2 à 3 mois en cours d'année".
Par ailleurs, les pertes liées en grande partie à la faible qualité de l’oignon, sont fréquemment mises en avant par les observateurs comme un problème majeur de l’oignon local comme l'indique une étude de la FAO. Cependant, interpellé sur les chiffres donnés par la Direction de l'Horticulture du Sénégal, Abdou Fall, Ingénieur Agronome, explique qu'on ne peut pas parler d'une satisfaction des besoins du pays en approvisionnement d'oignon. " 25% équivaut à 100.000 tonnes d'oignon perdues, 30% équivaut à 120.000 tonnes. Si nous enlevons cette quantité à la production (NDLR 400.000-420.000 tonnes) nous nous retrouvons en deçà de l'estimation des besoins du pays. En plus, on (le Sénégal, NDLR) reste quelques mois dans l'année sans produire de l'oignon". précise-t-il.
En outre, une étude réalisée par le programme de Suivi et Analyse des Politiques Agricoles et Alimentaires (SAPAA ) montre le calendrier de disponibilité de l'oignon au cours de quelques mois de l'année. Le début de récolte démarre aux mois de janvier et février, la récolte atteint son pic en mars, avril, mai et juin. La fin de la récolte est prévue en juin, juillet et août . Par conséquent, l'impression de surproduction que l'on a sur les marchés est limitée dans un temps bien déterminé.
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| Calendrier de disponibilité de l'oignon au Sénégal: source FAO |
Tendances des marchés
La note de conjoncture économique publiée tous les trimestres par la Direction générale de la Planification et des Politiques Économiques consacre un chapitre aux tendances des marchés en évaluant le prix des produits alimentaires. Dans son dernier rapport du quatrième trimestre de 2023, la quantité d'oignon importée est estimée à 4 992,9 tonnes en fin décembre 2023, contre une absence totale d’oignon local.
Cette importation d'oignon local est vue par l’économiste Mor Gassama comme un paradoxe à l'autosuffisance du produit dans le marché intérieur sénégalais. "Le gouvernement nous a habitués à gonfler ses chiffres de production. Si la production locale en oignon couvrait les besoins de l'importation, on aurait pas besoin d'en importer" souligne t-il.
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| Source: rapport Direction générale de la Planification et des Politiques Économiques (2023) |
Conclusion: L'affirmation de Thierno ALassane SALL est jugée incorrecte
La production moyenne d'oignon des cinq dernières années est évaluée à 429 528 tonnes pour un besoin de 360.000 tonnes. Le pourcentage de perte est estimé de 25 à 30% par la Direction de l'Horticulture du Sénégal. D’après l'expert en agronomie Abdou Fall, l'estimation de cette perte en quantité d'oignon équivaut entre 100 000 à 120 000 tonnes. Une quantité d'oignon, qui, soustrait de la production totale, est en deçà des besoins du pays. En outre, la production d'oignon au Sénégal ne se fait pas toute l'année, par conséquent le pays importe pendant 2 à 3 mois d'oignon au cours de l'année. Ainsi, dans le dernier rapport de la Direction générale de la Planification et des Politiques Économiques du quatrième trimestre de 2023, la quantité d'oignon importée est estimée à 4 992,9 tonnes en fin décembre 2023, contre une absence totale d’oignon local. En se basant sur ces éléments, la déclaration de Thierno Alassane Sall selon laquelle " le Sénégal produit, globalement, une quantité d'oignons supérieure aux besoins du pays" est jugée incorrecte.
Affirmation :
"Il existe toujours une frange importante (plus de 25%) de femmes en âge de procréer qui accouchent en dehors des structures de santé: seuls 74,5% des naissances sont assistés par un personnel de santé qualifié".
page 105
Cette affirmation faite à la page 105 du programme de Thierno Alassane Sall dit s’appuyer sur les statistiques de la santé mondiale établies par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 2023.
Déclaration 1
"Il existe toujours une frange importante (plus de 25%) de femmes en âge de procréer qui accouchent en dehors des structures de santé:
Ce que disent les données les plus récentes
L'Organisation Mondiale de la Santé donne les statistiques mondiales sur la proportion d'accouchements assistés par un personnel de santé qualifié. Celles de l'OMS sur le Sénégal datent de 2019. L'OMS estime le pourcentage d'accouchements assistés par un personnel de santé qualifié à 74,5%. Cependant, le taux d' accouchements en dehors des structures de santé n'est pas précisé.
Nous avons contacté l'OMS pour savoir d'abord les bases de cette étude mais également si elle ne dispose pas d'une nouvelle version des statistiques sur l'accouchement au Sénégal.
L'organisation nous fait savoir que les statistiques sur l'accouchement au Sénégal ne sont pas l’œuvre de l'OMS mais elles proviennent des études faites en collaboration avec le Ministère de la Santé et de l'Action Sociale du Sénégal ainsi que d'autres structures. Par ailleurs, l'OMS ajoute qu'elle ne dispose pas de nouvelles statistiques sur l'accouchement au Sénégal.
L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à travers plusieurs de ses rapports retient l'âge de la procréation pour les femmes entre 15 et 49 ans. Le même échantillonnage est pris par l'Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) pour réaliser une étude dénommée "L'Enquête Démographique et de Santé Continue" (EDS-C). En 2019, ce rapport estimait le taux d'accouchement effectué dans les structures sanitaires à 80%. Les données disponibles les plus récentes portent sur l'année 2023, dont celles de l’Enquête démographique et de santé continue (EDS-C) de l'ASND dont la collecte des données a été réalisée de janvier à août 2023 avec une période de référence de deux ans avant l’enquête. Le rapport de l’enquête stipule que 92 % des naissances vivantes au cours des deux années ayant précédé l'enquête ont eu lieu dans un établissement de santé. Ainsi, le pourcentage de femmes ayant accouché hors des services sanitaires n'est pas relevé.
A cet effet, nous avons demandé à l'ANSD une précision sur le pourcentage se rapportant aux naissances survenues à domicile, ou ayant eu lieu à tout endroit autre qu’une structure sanitaire.
« En résumé, le taux d’accouchement dans une structure de santé, quelle que soit l’issue, est estimé à 92 %. Les 8 % se rapportent aux accouchements qui se sont déroulés dans des endroits autres que les structures sanitaires (à domicile, dans le domicile d’un autre, en cours de route, …) pour la même période », a fait savoir l'ANSD.
En se basant sur les récentes données de l'ANSD la déclaration de Thierno Alassane Sall est jugée incorrecte.
Le taux d'accouchement ayant eu lieu en dehors des structures sanitaires est de 8% en 2023, et non de 25% comme l’a indiqué le programme de Thierno Alassane SALL.
Déclaration : 2
Seuls 74,5% des naissances sont assistés par un personnel de santé qualifié".
Qui est considéré comme personnel de santé qualifié?
L'Organisation mondiale de la Santé (OMS), le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) et d’autres organisations ont publié une déclaration commune proposant « une nouvelle définition du personnel de santé qualifié prodiguant des soins pendant l'accouchement ». Cette définition va au-delà du décompte des médecins, sages-femmes et infirmières présents au moment de l'accouchement. Cette dernière stipule: "Le personnel de santé qualifié est un professionnel de la santé maternelle et néonatale compétent qui est éduqué, formé et réglementé conformément aux normes nationales et internationales. Ils sont compétents pour fournir et promouvoir des soins fondés sur des preuves, fondés sur les droits de l'homme, de qualité, sensibles à la culture et à la dignité des femmes et des nouveau-nés. Ils sont compétents dans la gestion du travail et de l'accouchement pour assurer une expérience d'accouchement positive aux femmes.
De plus, ils sont compétents pour identifier et gérer ou orienter les femmes et / ou les nouveau-nés présentant des complications de santé". Le terme " personnel qualifié" est utilisé dans les rapports du Ministère de la santé et les rapports antérieurs de l'ANSD. Dans son dernier rapport sur l’Enquête Démographique et de Santé Continue le terme" prestataire de santé est usité", défini comme : "Naissances dont l’accouchement s’est déroulé avec l’assistance de médecins, conseillers de santé, sages-femmes, maïeuticiens d’état, infirmiers, attachés de santé, accoucheuses brevetées ou d’accoucheuses auxiliaires".
Les résultats de l'étude de l'ANSD en collaboration avec le Ministère de la Santé et de l'action sociale
L’Enquête Démographique et de Santé Continue (EDS-C) est exécutée par l'Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie en collaboration avec le Ministère de la Santé et de l'Action Sociale du Sénégal. Pour la mise en œuvre de l’enquête, un comité de pilotage a été mis en place comprenant, en plus de l'équipe technique de l'EDS-C, le ministère de la santé et les partenaires au développement.
Le taux d'accouchements assistés par un personnel de santé qualifié était estimé à 74,5 % en 2019 selon le site de l'OMS. Une estimation relativement similaire à celle de l’Enquête démographique et de santé continue de l’ANSD portant sur la même année et publiée en novembre 2020 qui estimait le taux d’accouchement assisté par un personnel de santé qualifié à 75%. Cependant, la version la plus récente de l'EDS-C de l'Agence nationale de la Statistique et de la Démographie estime le taux d'accouchement assisté par un prestataire de santé qualifié à 94% en 2023.
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| Source: Rapport de l'EDS-C 2023 Sur l'accouchement au Sénégal en 2023 |
En se basant sur ces données, l' affirmation de Thierno Alassane Sall est jugée trompeuse.



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